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La lud’interview complète de Constance Monnier (Monopoly des inégalités)

1. Pouvez-vous vous présenter ?

Bonjour, je suis Constance Monnier, responsable du projet « Jeunesse pour l’égalité », qui rassemble des outils et actions pédagogiques et ludiques à destination des 11-25 ans sur les inégalités et les discriminations, comme cette boite à outils mais aussi le prix “Jeunesse pour l’égalité” qui est un concours d’affiches, des web documentaires, des expositions, etc. que l’on met à disposition des professionnels de l’éducation (éducateurs, professeurs, etc.)

2. Qu’est-ce que le projet “Jeunesse pour l’égalité” ?

Les campagnes de communication contre les inégalités et discriminations sont très peu à destination des plus jeunes et souvent très peu accessibles pour eux. Dans le cadre du projet « Jeunesse pour l’égalité », on essaie de développer des outils pour aider les professionnels de l’éducation à communiquer et travailler sur ces sujets avec les jeunes.

Par exemple, pour le concours du “Prix Jeunesse pour l’égalité”, chaque année, le thème est annoncé en septembre, la fin des inscriptions a lieu en janvier, pour une remise des prix fin mars. C’est un support qui est pas mal utilisé par les enseignants notamment en EMC. Tous les jeunes entre 11 et 25 ans peuvent participer, à condition de s’inscrire au moins à deux. Il y a trois catégories d’âge : les 11-15 ans, les 16-18 ans et les 19-25 ans. Cette année 2022, le thème est « Et si j’étais président(e)… ». Le but de cette action est d’être un porte-voix pour les jeunes à propos des inégalités.

Le web documentaire : “Liberté, inégalité ? Fraternité”, cumule des paroles de jeunes, des paroles d’experts, et données clés.  L’Observatoire des inégalités y propose des pistes de réflexion sur les inégalités et les discriminations à l’école, dans le travail, les modes de vie et les loisirs, mais avec la parole des jeunes. Quatre chapitres sont proposés : les conditions de vie, les vacances et loisirs de la jeunesse et le travail. Ce web documentaire a été créé en partenariat avec le magazine Alternatives économiques et le Réseau Canopé. Ce dernier propose d’ailleurs un accompagnement de cet outil en classe, plutôt axé lycée.

On a aussi deux expositions. L’une, dans le cadre du concours, est itinérante. Elle rassemble 59 affiches primées des concours passés : les inégalités professionnelles entre hommes et femmes, les discriminations envers les étrangers, le harcèlement de rue, la grossophobie, ou encore le handicap. Ces affiches sont au format A3, toutes réalisées par des jeunes dans le cadre du concours, et sont mises à disposition des établissements scolaires pour 15 jours, gratuitement (hormis les frais d’envoi).
La deuxième exposition reprend le livret pédagogique “Les inégalités expliquées aux jeunes”. Sous format A0, elle rassemble un ensemble d’affiches avec pas mal de textes d’explication. Chaque panneau est sur une thématique.

Ce sont nos principaux outils que l’on a mis à disposition des enseignants et des éducateurs. Considérant qu’une explication par les jeunes vaut mieux parfois que par les adultes.

3. Pourquoi le Monopoly ?

Le Monopoly des Inégalités a été créé dans le cadre de notre dernière création, une boîte à outils pédagogique “Informer sans enfermer”. Tout est parti d’une vidéo “Un jeu de société”, par l’agence Hérézie, dans laquelle on voit des jeunes qui jouent à un Monopoly modifié. On a eu énormément de demandes d’acquisition des règles du jeu notamment, mais nous n’avions rien donc nous nous sommes lancés dans la conception de ce jeu.

4. D’où est venue cette idée et comment ce projet de Monopoly a-t-il été mené ?

Il y a plusieurs intérêts : celui de proposer aux professionnels un outil pédagogique avec un esprit ludique et celui, si on voit un peu plus large, de sensibiliser les jeunes aux inégalités. Cela a un vrai intérêt pour lutter contre. Ce n’est pas tant le jeu qui est important, c’est le débat qui va suivre le jeu. Il s’agit d’une excuse, un support, pour lancer un débat avec les jeunes.

5. En quoi ce jeu, et par extension son accompagnement pédagogique, peut-il faire ouvrir les yeux sur les inégalités et les discriminations ?

Le Monopoly s’inscrit dans cette boite à outil pédagogique qui comprend d’autres supports (des outils déjà créés), “informer sans enfermer” est le but de cette sensibilisation, c’est comment réussir à parler aux jeunes sans les enfermer dans un constat fataliste, c’est tout ce qu’on a essayé de faire. Entre sensibiliser les jeunes sur les réalités des inégalités mais éviter de les enfermer dans un constat : les inégalités sont telles que je ne vais pas réussir par rapport à d’où je viens.

6. Quels sont les leviers utilisés pour que les élèves prennent conscience que l’égalité n’est pas quelque chose d’acquis ? Pouvez-vous expliquer comment on y joue ?

Elle a été menée avec un consortium. Elle a été financée par l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire, ndlr) qui met en place des expérimentations en couplant porteur de projet et équipe d’évaluation. On a été accompagnés par une équipe de Quadrant conseil et qui a observé pendant les trois années de ce projet et qui a permis d’améliorer au fur et à mesure cet outil et l’animation qui va avec en faisant attention aux écueils que cela pouvait contenir.

L’outil :

On a créé des cartes personnages afin de mettre de la distance entre les élèves et le but du jeu. On a intégré des règles plus positives, il n’y a pas que de la dénonciation, on essaie de montrer des choses qui sont mises en place au sein de la société dans le but de minimiser, réduire les inégalités.

On n’est pas une société qui promeut les inégalités, des choses existent même si c’est imparfait et il y a des cartes évènements qui amènent des sujets positifs.

L’animation :

On a intégré un temps d’animation dans l’atelier, le jeu prend une petite part dans cet atelier, et le rôle de l’animateur est un rôle-clé dans la réussite de ces ateliers. Il va orienter la discussion pour montrer que ce n’est pas parce que les statistiques disent qu’on n’arrivera moins en faisant telles ou telles choses que ça se passera comme ça. On ne peut pas uniquement utiliser le jeu.

Dans le guide d’animation, on a essayé d’amener des éléments de compréhension sur le jeu, sur la pédagogie à adopter quand on parle des inégalités, sur la technique de formation. On a tendance à mobiliser différentes techniques pour informer sans enfermer. Montrer comment les inégalités ont évolué, ça leur montre que ce n’est pas figé. Le but est de pointer du doigt les structures, les personnes ressources à mobiliser, s’ils font face à certaines difficultés et garder à l’esprit que le but n’est pas de les culpabiliser de leurs privilèges mais de trouver cet équilibre dans l’animation qui est clé dans la bonne tenue de cet atelier.

Ce n’est pas un jeu de société grand public mais c’est davantage pour les professionnels. En plus de ça, on propose une formation pour animer une séance sur le Monopoly, réfléchir et mettre en place un débat avec les plus jeunes.

7. Comment rendre les élèves conscients et acteurs, les faire modifier au quotidien leurs comportements et leur environnement pour qu'ils soient plus inclusifs ?

Ce qui est bien, c’est qu’on se met à la place d’un autre, le jeu a tendance à faire ressortir des préjugés, en fonction du personnage. On axe sur ces tendances, et on leur apporte des éléments sur leur comportement, les stéréotypes qu’ils ont pu intégrer ça peut les remettre à leur échelle.

8. Qui a travaillé sur ce jeu ?

Un comité de pilotage : l’APSES, des membres de la Ligue de l’Enseignement, les Francas et l’AFEV. Il y a eu plusieurs phases de co-construction des règles avec des jeunes et des sociologues, des phases de test de jeu en tant que tel (moi et mon collègue Tristan Bouvier). On a mis en place des tests en autonomie et lors de cette troisième phase, on a mis à disposition auprès des personnes qui les avaient sollicités et des personnes en lien avec les partenaires, pour voir si le guide de l’animation fonctionnait bien. L’APSES, qui a participé à cette troisième étape, a fait des retours constructifs. C’était un public enseignant donc on a pu faire un format plus “classe” à partir de ça.

9. Plusieurs collègues ont réagi à l’annonce du prix (150 euros) sur les réseaux sociaux. Ne pensez-vous pas que cela soit un frein à sa diffusion ?

Il n’y a pas que le contenu du Monopoly dans le kit. Il contient deux ouvrages, des affiches pour les jeunes, la clé USB et le coût de l’impression par une imprimerie française qui travaille à Nice avec des publics en difficulté. L’ouvrage Les inégalités expliqués aux jeunes en fait partie, c’est de cet ouvrage qu’est repris l’exposition en grand format, un livret où les inégalités sont abordées dans des doubles pages avec du texte et des données explicatives.

L’ouvrage Comprendre les inégalités est un vrai support pour les animateurs, à mobiliser pour approfondir certains sujets ou préparer la séance d’animation, la compréhension des outils pour mesurer les inégalités, comment réussir à comprendre ce qu’on entend par l’égalité des chances, différentes analyses pour décrypter le débat et des temps de définitions. Il y a également une dizaine d’affiches réalisées par des jeunes et un livret pour les accompagner sont fournis. Sur la clé USB vous avez : les affiches au format numérique, une dizaine de vidéos réalisées par des jeunes, une présentation du prix jeunesse pour l’égalité et des éléments pour que vos élèves réalisent leurs propres œuvres ainsi qu’un kit pédagogique par Réseau Canopé pour vous accompagner dans la découverte du web documentaire. Enfin, il y a le guide d’utilisation du Monopoly (la trame du débat, les règles du jeu, …).

10. Peut-on en savoir plus sur les deux ouvrages et sur ce qu’il y a sur la clé ? quelqu’un peut poser cette question ?

“Les inégalités expliquées aux jeunes”. C’est un ouvrage d’où est repris l’exposition et qui est à destination des plus jeunes. Rééd. 2018.

“Comprendre les inégalités”, ouvrage pour les animateurs, permet d’aborder en 3 temps: comment mesurer, comprendre le débat sur les inégalités aujourd’hui en France, et un temps de définition.

Sur la clé : une dizaine d’affiches accompagnées d’une fiche pour découvrir ces œuvres. A destination des élèves, c’est un accompagnement de l’exposition (axe stéréotypes) + tout le guide d’animation.

11. Un accompagnement pédagogique est-il prévu ? Des formations ?

Le 29 mars aura lieu la première formation pour les professionnels et il y en aura deux autres avant l’été. Vous pourrez voir toutes les informations sur notre site internet. Cette formation est animée par moi-même et Zahia Kessar une psychosociologue et un temps de mise en situation, sur comment aborder le sujet avec les plus jeunes. On partira de l’expérience de jeu du matin pour anticiper des réactions des plus jeunes par une mise en situation et de débat.

Le but serait de passer par les inspecteurs d’académie mais c’est par manque de temps qu’ils ne passent pas par la dafor, ils sont une petite équipe et c’est compliqué pour eux de réussir à faire équipe avec l’académie. Peut-être que si cela vient des inspecteurs ou des enseignants, quelque chose pourra être mis en place. C’est une difficulté qu’ils rencontrent. Les stagiaires repartiront avec leur boîte à outils.

12. Enseigner la lutte contre les discriminations est-elle problématique ? Est-ce que vous avez vu ces derniers mois une évolution en bien ou en moins bien dans le fait d’évoquer ces sujets (réception…)

C’est au cœur de nos réflexions. Je comprends les critiques, je trouve ça bien qu’il y ait des critiques car cela montre que c’est un vrai sujet, on a mis des choses en place pour éviter ces écueils. On a modifié le jeu entre la vidéo et celui qui a été finalisé.

On a commencé à conscientiser il n’y a pas si longtemps que ça, surtout depuis qu’on a publié sur notre Monopoly, tant que l’extrême droite que très à gauche, je pense que vous avez raison

C’est en grande partie lié à toutes les polémiques autour du wokisme, de cette comparaison France – Etats Unis, etc. Le gouvernement a une part de responsabilité dans ce glissement entre les deux pays, on va essayer d’enfermer les moins favorisés ou de trop pointer du doigt les privilégiés. Sauf que s’il y a ces réactions, c’est que nous devons en parler. On se faisait de traiter d’anti-wokistes par quelques mouvements, maintenant de wokistes, un glissement de terrain sur l’image qu’on renvoie parce que c’est devenu un sujet à discussion problématique de parler des inégalités et des discriminations, il faut le garder à l’esprit et se questionner sur ce glissement sur un terrain idéologique.

14. Est-ce que vous envisagez de continuer avec ces équipes ou d’autres équipes afin d’étudier les effets de cette boite à outil afin de montrer que le jeu peut être un aspect important, que ça permet de répondre au besoin identifié au départ ?

On l’a un peu fait sur le coup, pendant l’expérimentation, des retours d’expériences, des testeurs, des questionnaires plus les ateliers menés. On va envoyer, à chacune des personnes qui a acquis une boîte à outils, un questionnaire afin d’avoir un retour d’expérience. On espère avoir un certain nombre de réponses et avec nos partenaires nous allons continuer de travailler ensemble, ça demande du temps pour évaluer et c’est compliqué de tous se voir. Je suis toujours très intéressée pour mettre en place des partenariats avec d’autres structures dans la mesure de nos moyens humains car on reste une petite équipe, nous ne sommes pas beaucoup. La logique partenariale est une logique que nous apprécions.

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